Ah, une bonne nouvelle !

Dimanche 3 mars, les Suisses ont largement approuvé un treizième versement pour leurs pensions de retraite par répartition et rejeté tout report de l’âge de départ à la retraite. Une décision qui a surpris, mais qui traduit une pression constante sur les revenus des retraités.

Romaric Godin

4 mars 2024 à 18h12

DansDans la Suisse d’ordinaire si conservatrice, la votation du 3 mars 2024 a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Les électeurs et électrices helvétiques ont clairement décidé de défendre leur système de retraite par répartition, en acceptant à 58,2 % le versement d’un « treizième mois » (appelé « treizième rente ») par le système général des retraites (appelé AVS), une initiative portée par les syndicats.

En parallèle, les électeurs et électrices ont rejeté très massivement – à 74,7 % – le projet de relèvement à 66 ans de l’âge légal de départ à la retraite et d’adaptation automatique de l’âge légal en fonction de l’espérance de vie. Les porteurs de cette initiative, proches des jeunes libéraux, prétendaient ainsi assurer la pérennité du système de retraite par répartition.

« C’est une défaite pour le récit néolibéral sur les retraites », explique à Mediapart Pierre-Yves Maillard, président de l’Union syndicale suisse (USS), qui est aussi conseiller aux États (équivalent de sénateur) pour le Parti socialiste suisse. La défaite est sans appel, d’autant que la participation est assez élevée pour une votation : environ 58 % des personnes inscrites.

affiches référendaires à Genève, le 27 février 2024. © Photo Fabrice Coffrini / AFP

Le résultat dépasse en grande partie les clivages traditionnels de ce genre de vote, notamment celui entre Suisse francophone, plus à gauche, et Suisse germanophone, plus conservatrice. Le projet de l’initiative pour la retraite à 66 ans a ainsi été rejeté dans tous les cantons. Certes, les cantons francophones ont été plus franchement opposés à l’initiative, avec un « non » dépassant 80 % à Fribourg, Neuchâtel ou Vaud, mais les meilleurs scores du « oui » ne dépassent qu’à peine 30 % à Zurich et à Zoug.

Concernant le treizième versement pour les retraites, seuls six cantons et quatre demi-cantons (sur 20 cantons et six demi-cantons) ont rejeté l’initiative, principalement dans la Suisse alpine et orientale, très conservatrice. Mais il y a là aussi quelques surprises, notamment la majorité obtenue par l’initiative dans les cantons alpins des Grisons ou de Glaris, mais aussi à Zurich (où le « oui » obtient 52 %).

Ces résultats sont d’autant plus surprenants que, d’ordinaire, les initiatives portées par les syndicats et la gauche échouent lors des votations. Cela avait notamment été le cas le 25 septembre 2022 lorsque l’alignement de l’âge légal de départ des femmes à la retraite sur celui des hommes, à 65 ans, avait été approuvé par 50,5 % des voix. La gauche avait alors perdu la bataille de l’abrogation de cette réforme de 30 000 voix.

Les Suisses avaient également rejeté les initiatives pour institutionnaliser le salaire minimum (2014), réduire les écarts salariaux (2013) ou encore relever l’imposition sur le capital (2021). Il faut dire que le système de financement des campagnes électorales permet au patronat de ne pas ménager ses efforts pour imposer son récit.

Par ailleurs, les élections législatives de l’an passé ont plutôt été marquées par un mouvement vers la droite, même si le Parti socialiste a gagné deux sièges au Conseil national (chambre basse du Parlement). Le grand gagnant du scrutin a encore été le parti d’extrême droite Union démocratique du centre (UDC), alors que la gauche radicale, elle, a été exclue du Parlement.
Les raisons de la victoire de la « treizième rente »

Que s’est-il donc passé ? Pierre-Yves Maillard explique que les partisans de l’initiative « treizième rente » ont appris de la défaite de 2022 et ont mené une campagne pédagogique en mettant en cause les éléments de langage de la droite.

« Nous avons expliqué que le rapport entre actifs et inactifs évolue de manière beaucoup plus stable que ce qu’on nous raconte, si on prend en compte la participation croissante des femmes au marché du travail salarié. Et nous avons montré que le système général des retraites a une fortune et pas de dette », explique le dirigeant syndical.

La « bataille a été rude », explique-t-il, avec notamment une presse conservatrice vent debout contre le projet. Mais, pour lui, la campagne a permis de montrer que l’enjeu n’était pas réellement le financement des retraites par répartition, mais plutôt une bataille de « parts de marché » entre l’AVS (le système général des retraites) et les retraites individuelles privées, où l’on retrouve l’influence du très important secteur financier helvétique.

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